Comment les femmes peuvent-elles transformer l’industrie alimentaire pour les femmes?
Dans le cadre du Forum international qui s’est tenu à Montréal en janvier dernier, l’EUMC et le CECI ont réuni des entrepreneures canadiennes du secteur de l’alimentation, qui toutes s’approvisionnent dans les pays en développement, en leur proposant de débattre du sujet suivant: «Comment les femmes peuvent-elles transformer l’industrie alimentaire pour les femmes?». Ayant à cœur de partager leurs expériences, elles ont livré leur analyse de la situation et esquissé des solutions. Une réflexion à lire et à partager en cette journée internationale de la femme.
Les photographies se sont succédé, plus colorées les unes que les autres: des travailleuses malgaches assises à même le sol, vidant les cabosses des cacaoyers, ou triant les fèves de cacao séchées; le rouge lumineux des fruits mûrs des caféiers; le visage souriant d’une femme ramassant les bourgeons et les feuilles des théiers dans une plantation du Sri-Lanka, une hotte ficelée dans le dos.
Présentés par les panélistes venues témoigner de la réalité d’un terrain qu’elles connaissent bien, ces clichés se veulent emblématiques de la situation des femmes dans la culture et la production du cacao, du café et du thé – une situation décrite par les entrepreneures canadiennes comme tristement similaire: la présence des femmes y est majoritaire et massive, leur contribution indispensable et leur apport crucial. Pourtant, ont déploré les panélistes d’une seule voix, la considération dont elles font l’objet, tout comme leur rémunération, bien inférieures à celles des hommes, demeurent dérisoires.
DES BARRIÈRES SYSTÉMIQUES
«Dans les pays producteurs de thé comme l’Inde, la Chine et le Sri Lanka, les femmes représentent plus de 50% de la main d’œuvre qui assure la cueillette mais elles occupent moins de 20% des emplois non-manuels, et encore il s’agit de postes à peu de responsabilités» déplore Shabnam Weber, propriétaire et fondatrice de Tea Emporium, un magasin de thés spécialisés qui depuis 2000 importe, vend et distribue au Canada des thés du monde entier.
«Leurs besoins propres sont ignorés par le management masculin, leur taux de syndicalisation est très faible, la possibilité de promotion quasi-inexistante, et maintenant leur travail est de plus en plus menacé par la mécanisation du secteur, donc leur situation se précarise. Sans compter qu’elles doivent œuvrer dans des environnements largement machistes» poursuit l’entrepreneure torontoise qui raconte avoir parfois du mal à être elle-même prise au sérieux par les producteurs de thé.
Tracey Clark, la présidente et CEO de Bridgehead, qui s’approvisionne en cafés équitables et biologiques auprès de coopératives situées en Amérique du sud, en Afrique centrale et en Indonésie, abonde en son sens et dénonce «les barrières systémiques» auxquelles font face les femmes qui travaillent dans la culture et la production du café et qui les confinent à des rôles de second plan.«Les difficultés d’accès à la terre … (sont) un obstacle de taille, car de là découlent d’autres difficultés comme l’accès au crédit, aux coopératives, au marché ou encore à la formation»
Dans le domaine du cacao, la situation décrite par Karine Chrétien Guillemette, propriétaire et fondatrice de Miss Choco, n’est guère plus reluisante. «Les femmes font face à des défis immenses, à commencer par les difficultés d’accès à la terre» déplore l’entrepreneure montréalaise spécialisée dans le chocolat bean-to-bar.
Bien entendu, souligne Karine Chrétien Guillemette, cela n’empêche pas les femmes d’assumer bien plus de la moitié des tâches et de jouer un rôle déterminant dans l’obtention d’un cacao de qualité en étant responsables d’étapes cruciales dans le processus de transformation. Quant aux chocolatières, dont le nombre a fortement augmenté dans la dernière décennie tant dans les pays du nord que dans les pays en développement, leur condition de femme rend toujours difficile leur approvisionnement direct chez les producteurs de cacao masculins qui les considèrent bien souvent avec légèreté ou mépris.
RÉSEAUTAGE
Pour autant, Karine Chrétien Guillemette se veut optimiste et croit que l’amélioration de la situation des femmes dans le secteur du cacao et dans l’industrie alimentaire en général viendra de leur capacité à s’organiser en réseau. «Créons des liens entre les femmes pour qu’elles puissent devenir des agentes de changement, établissons des réseaux pour que les femmes qui sont présentes à tous les niveaux dans l’industrie du chocolat puissent se rencontrer et tisser des liens» plaide Miss Choco, qui s’est félicitée de la création en mai 2016 du Women in Cocoa and Chocolate Network. Preuve selon elle que la situation évolue: il n’est plus rare désormais de faire affaire avec des coopératives de femmes, voire même des coopératives mixtes dirigées par des femmes. Et de donner quelques exemples inspirants comme au Pérou, où Karine Chrétien Guillemette s’est rendu l’été dernier grâce à une mission organisée par l’EUMC et le CECI, via le volet Partenariats d’affaire du programme Uniterra: la coopérative Pangoa a à sa tête une directrice générale depuis plus de 15 ans !
Pour autant, insiste la propriétaire de Miss Choco, il est essentiel de ne pas exclure les hommes, mais bien au contraire de bâtir ces réseaux avec eux: ils n’en seront que plus influents et durables.
RESPONSABILITÉS DU CONSOMMATEUR
Shabnam Weber croit plutôt que l’amélioration de la situation des femmes viendra de la responsabilisation croissante de chacun des intervenants de la chaîne d’approvisionnement, y compris, insiste la propriétaire de Tea Emporium, les consommateurs.
«Il est toujours très facile de faire porter la faute à l’autre: certains sont prompts à dénoncer les multinationales peu regardantes sur les conditions de production du thé, d’autres pointent du doigt les petits producteurs qui n’en font pas assez ou encore les acheteurs et importateurs qui maintiennent les prix au plus bas: en réalité, chacun a sa part de responsabilité et le changement ne viendra pas d’un seul chaînon» estime Shabnam Weber qui fait le pari qu’une hausse des prix et une amélioration des conditions de travail et de vie bénéficieraient à tous – et donc, par conséquent, aux femmes.
L’entrepreneure torontoise, qui siège au comité d’administration de l’Association du thé du Canada, insiste sur la responsabilité des consommateurs. «Quand on achète un paquet de 100 sachets de thé à moins de 4 dollars, on doit se poser des questions sur le salaire touché à la source par les travailleurs. Il faut conscientiser les consommateurs, qui, même si ils en doutent parfois, ont les moyens de faire pression sur le système de distribution et d’approvisionnement, en réclamant des prix plus justes et une approche plus égalitaire envers les femmes. Mais il faut qu’ils soient prêts, de leur côté, à payer plus cher. Sans quoi, rien ne changera».
Le Forum international du CECI et de l’EUMC est un rendez-vous annuel stimulant où sont partagées les meilleures idées et pratiques du développement international. Il est réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada par le biais d’Affaires mondiales Canada.
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